par Matthieu Protard et Yann Le Guernigou

Âgé aujourd'hui de soixante-cinq ans, il s'est progressivement affirmé comme l'homme de l'émancipation de la banque vis-à-vis de la Caisse des dépôts, après son entrée en 1964 à la Caisse d'épargne de Sète, sa ville natale.

Aux commandes de la Caisse nationale des Caisses d'épargne (CNCE) depuis 1999, Charles Milhaud a entrepris en l'espace de neuf ans de transformer ce groupe qui vivait tranquillement à l'ombre de la CDC - celle-ci déléguait auparavant un de ses représentants pour gérer la Caisse nationale, l'organe de tête du groupe - en banque universelle sur le modèle des autres grands établissements français.

Autrefois banque de particuliers par excellence, l'Ecureuil a pris pied à grand renfort d'acquisitions dans des activités plus risquées comme le financement des PME, la banque d'investissement et l'immobilier.

Ces développements, menés à un rythme soutenu, n'ont pas été sans inquiéter les autorités de contrôle de banques, qui sont intervenues à plusieurs reprises pour exiger un renforcement du contrôle des risques et le recrutement de personnalités qualifiées à des postes sensibles comme la direction des finances.

Aujourd'hui encore, elles exigent des Caisses d'épargne un niveau de fonds propres supérieur à celui des autres banques françaises.

LA CRISE FINANCIÈRE RATTRAPPE LA BANQUE

La crise financière a mis à mal une partie de l'échafaudage mis en place par Charles Milhaud, le groupe subissant de plein fouet son impact sur les activités de marché, logées dans Natixis, filiale dont il détient avec les Banques populaires 70,5% du capital, et l'immobilier, un secteur où il avait fait d'importants investissements en 2006 et 2007, en haut de cycle.

Début octobre, Nexity, le promoteur immobilier détenu à près de 40% par l'Ecureuil, a lancé un second avertissement sur ses résultats 2008 en raison de la dégradation rapide du marché immobilier.

En juillet dernier, Natixis a été contraint de lancer une augmentation de capital de 3,7 milliards d'euros pour renforcer ses fonds propres, après avoir enregistré près de deux milliards d'euros de dépréciations sur le premier semestre 2008 en raison de la crise.

Persuadé que les Caisses d'épargne devaient être en mesure de jouer dans la cour des grands, Charles Milhaud n'a jamais dévié de ses objectifs, quitte à se montrer parfois brutal avec ceux qui pouvaient y faire obstacle, en interne comme en externe.

Le meilleur exemple en est le divorce houleux du groupe en 2006, année de la création de Natixis, avec la CDC, son ancienne puissance tutélaire avec 35% du capital, qui lui a fait payer au prix fort, sept milliards d'euros, son retrait du capital de la Caisse nationale des Caisses d'épargne.

Conseiller municipal UMP à Marseille, Charles Milhaud n'a en outre jamais hésité à s'entourer de personnalités proches des gouvernements en place, ce qui explique en bonne partie les nombreux changements dans l'organigramme du groupe au fil des années.

Des hommes qui étaient à ses côtés lors de son accession à la tête des Caisses d'épargne, seul Nicolas Mérindol, directeur général depuis 2006, était toujours en place.

"LES CAISSES, C'EST TOUTE MA VIE"

Celui qui affirmait encore ce week-end "les Caisses, c'est toute ma vie", n'aura donc pas survécu à cette nouvelle affaire de trading. A la grande différence de Daniel Bouton qui, s'il a perdu son poste de directeur général, a conservé le titre de président de la Société générale, après l'affaire Kerviel, du nom du trader à qui a été imputée une perte de 4,9 milliards d'euros en début d'année.

Même si Charles Milhaud assurait ce week-end au Journal du Dimanche que cette affaire n'est pas "une nouvelle affaire Kerviel", elle survient au pire moment, alors que les gouvernements français et des autres pays européens planchent sur des plans de soutien au secteur bancaire.

Tous les ingrédients étaient réunis pour une véritable pression politique, plusieurs responsables politiques, dont le chef de l'Etat Nicolas Sarkozy, ayant appelé tout au long du week-end les responsables de la banque à "tirer les conséquences" des dysfonctionnements de l'établissement.

L'émotion a été d'autant plus grande qu'aux yeux des Français, les Caisses d'épargne paraissent aux antipodes de l'univers risqué de la banque d'investissement.

L'établissement que présidait Charles Milhaud est, avec la Poste, la banque du Livret A, symbole du produit d'épargne le plus sûr et le plus populaire en France.

Cette perte de trading est aussi un coup dur pour le patron des Caisses d'épargne qui négociait un rapprochement avec les Banques populaires.

Il avait reçu début octobre le feu vert des administrateurs de la banque pour mener des discussions en vue d'une fusion des organes centraux des deux groupes mutualistes, la Banque fédérale des Banques populaires (BFBP) et la Caisse nationale des Caisses d'épargne (CNCE).

Édité par Jacques Poznanski