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WASHINGTON (awp/afp) - Phil Angelides, qui a dirigé la Commission d'enquête américaine sur la crise financière, les a tous eu face à lui, ces barons de la finance qui ont précipité les Etats-Unis et le reste du monde dans la récession.

Mais dix ans plus tard, aucune poursuite n'a été engagée et la confiance de l'opinion publique a été durablement ébranlée, un phénomène qui se fait encore sentir dans la politique américaine.

Des dirigeants de Citigroup aux responsables de Merrill Lynch en passant par ceux de l'assureur AIG, tous ont été interrogés en 2010 par la Commission d'enquête sur la crise financière que présidait M. Angelides.

Tous auraient dû faire l'objet d'une enquête au pénal, selon la Commission d'enquête, soupçonnés d'avoir induit les investisseurs en erreur sur la toxicité de leurs positions financières. La Commission a même informé le ministère de la Justice, s'attendant à ce que celui-ci engage des poursuites. Mais cela n'a jamais été le cas.

En fait, dix ans plus tard et après des centaines de milliards de dollars d'amendes versées par les banques, il n'y a eu aucun procès majeur au pénal ni conviction notable.

"Aucun des individus qui ont mené le processus, cautionné ou supervisé celui-ci n'ont jamais été tenus pénalement ou civilement responsables pour leurs agissements", a affirmé M. Angelides à l'AFP.

"On dirait que même si les banques ont massivement procédé à des actes répréhensibles systématiques, aucun banquier n'était apparemment concerné", ironise cet ancien trésorier de l'Etat de Californie, estimant que cela "a ébranlé la politique de notre pays".

Une enquête du Wall Street Journal a montré en 2016 que sur 156 plaintes au civil et au pénal contre les 10 plus grandes banques de Wall Street depuis 2009, des responsabilités individuelles n'ont été établies que dans 19% des cas. Et un seul individu sur 47 a été identifié comme étant membre d'un conseil d'administration.

Preuves tangibles

M. Angelides a indiqué que sa commission avait transmis au ministère de la justice "des preuves tangibles", des millions de pages de documents, des centaines de témoignages, sans toutefois prendre de position sur la culpabilité des individus impliqués.

Contactés par l'AFP, les anciens dirigeants d'AIG, comme Martin Sullivan ou Steven Bensinger, ou ceux de Merrill Lynch, comme Stanley O'Neal ou Jeffrey Edwards, n'ont pas donné suite.

Un porte-parole de Robert Rubin, l'ancien secrétaire américain au Trésor de l'administration Clinton qui a été président de Citigroup, identifié par la Commission, a pour sa part affirmé à l'AFP que les enquêteurs du ministère de la justice ne l'avaient jamais contacté.

Le département de la justice a indiqué "avoir mené des enquêtes et tenu pour responsables ceux qui ont été à l'origine de fraudes financières", selon un porte-parole évoquant une série de fraudes plus mineures liées à une manipulation des taux d'intérêt.

Mais alors qu'on va tourner la page du 10e anniversaire de la débâcle financière, un délai de prescription va s'instaurer pour les poursuites pour fraude, plaçant ces affaires hors de portée des procureurs pour toujours.

Mais les instituts de sondage affirment que la crise, le renflouement des géants de Wall Street et l'absence de poursuites judiciaires ont traumatisé le pays, érodant la confiance du public dans leur gouvernement et laissant les électeurs divisés et en colère.

Washington a mobilisé des milliers de milliards de dollars pour sauver l'industrie-même qui avait provoqué la crise. Mais loin du cercle des banquiers, le reste de l'Amérique a durement souffert.

Les taux de suicide ont grimpé dans le sillage des millions de saisies immobilières. Environ 10 millions d'Américains ont perdu leur emploi.

Lors des dernières élections, candidats de droite comme de gauche se sont lancés à la figure leurs liens avec les banques d'affaires, et particulièrement Goldman Sachs.

"Le public américain ne fait confiance en aucune façon à l'establishment", résume Chris Jackson, responsable des sondages américains chez Ipsos.

Paul Pelletier, un ancien procureur en chef au ministère de la Justice, qui a poursuivi les dirigeants d'AIG, a déclaré à l'AFP que Washington avait manqué de volonté politique pour poursuivre les cas de fraude sévère.

"Ce qui a mal tourné est à 100% une question de compétence et de courage", a-t-il déclaré.

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