D'abord, j'aimerais mettre un coup de projecteur sur mes deux confrères du Financial Times qui ont contribué à révéler l'affaire. Ceux-là même qui sont sous le coup d'une enquête du gendarme financier allemand, qui n'a eu de cesse de laisser entendre qu'ils avaient travaillé en collusion avec des fonds spéculatifs baissiers. Je n'ai aucune information sur l'intégrité ou la moralité des deux journalistes, mais je constate dans cette affaire que, manifestement, les uns ont fait leur travail et pas les autres.

Dans le même registre, on peut se demander comment les auditeurs sont passés à côté de quelque chose d'aussi gros. Il manque a minima 1,9 Md€ dans les caisses – le management l'a concédé – et d'autres révélations pourraient suivre – le management l'a aussi concédé. Qu'en est-il vraiment des dizaines de milliards de flux financiers gérés chaque année ? Evidemment, il est difficile de demander aux comptables du groupe d'aller vérifier le moindre échange en provenance d'une tierce-partie liée à une filiale locale en Asie. Mais se faire berner sur des montants aussi conséquents semble tout bonnement incroyable. A quoi sert un auditeur s'il est incapable de lever de tels lièvres ?

Il y a clairement deux volets intéressants dans cette affaire. D'abord, la partie comptable d'une activité dont la complexité est telle que chaque intervenant dans la chaîne est forcé de faire confiance à celui qui opère en aval. Quand la supervision interne a-t-elle failli ? Des dirigeants se sont-ils rendus complice ? Pourquoi les garde-fous externes n'ont pas fonctionné ? Je serais bien en peine de donner mon avis sur ce point, et même si j'étais un expert, il me faudrait probablement beaucoup plus de détails pour me forger une opinion sur ce qui s'est réellement passé.

J'en viens au second point, qui concerne le traitement économico-politico-médiatique. Wirecard a clairement été protégé par l'establishment allemand depuis le début de l'affaire. D'autres pays d'Europe auraient probablement réagi de la même façon si l'un de leur champion avait été mise en cause. Mais ce qui frappe en l'espèce, c'est la convergence presque inédite ente le monde politique, la presse, le secteur financier et même le régulateur. Dans un excellent papier écrit pour le Financial Times dimanche, Bernd Ziesemer, ex-journaliste du Handelsblatt et actuel président de l'école de journalisme de Cologne, dresse un bilan d'une grande justesse. Il fustige notamment la BaFin, qui "pendant trop longtemps, a trouvé toutes sortes d'excuses bureaucratiques pour éviter de se pencher sérieusement sur Wirecard" et qui ajouté l'insulte à l'injure en interdisant la vente à découvert sur le titre et en déposant une plainte pénale contre les deux journalistes britanniques.

Plus globalement, Ziesemer appelle la communauté financière de Francfort à faire son examen de conscience, depuis ceux qui se sont laissés convaincre sans rien remettre en cause jusqu'aux fonds qui ont soutenu mordicus le dossier. C'est une forme de responsabilité collective. "Au cours du week-end, Tim Albrecht, gérant du fonds phare Deutsche de la DWS, a déploré que les vendeurs à découvert anglo-saxons soient les seuls gagnants sur Wirecard, et que tous les autres avaient perdu. Mais la vérité n'a-t-elle pas aussi gagné ?". Tout est dit, non ?