"Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés actions ces six premiers mois de l’année ?
Le premier constat est celui d’un rallye très important. Quel que soit la classe d’actifs considérée, les performances ont été très bonnes, à deux chiffres. Les actions américaines affichent une progression de 21%, les actions européennes de 20%. Mêmes les marchés émergents qui sont les plus à la traîne ont grimpé de 12% à date.
Pour de multiples indices, nous avons vécu le meilleur début d’année de ce siècle. Aux Etats-Unis, c’est le plus haut niveau atteint meilleur premier semestre depuis 1998.

Ce qui peut surprendre c’est que ce mouvement haussier sur les marchés actions s’est accompagné d’un mouvement analogue sur les marchés obligations. L’indice qui agrège les obligations d’Etat ainsi que les obligations d’entreprises investment grade et high yield enregistre une performance de plus de 5% au sein de la zone euro et de plus de 6,5% aux Etats-Unis.

Ce panorama d’ensemble s’est caractérisé avec peu de fluctuation du dollar contre l’euro. Dit autrement, le risque de change a été quasi nul.

Cette première moitié d’année est surprenante ?

Elle n’était clairement pas inscrite dans les prévisions. A présent, il y a lieu de prendre un peu de recul en la replaçant dans son contexte. Le rallye est intervenu après un quatrième trimestre 2018 qui s’est avéré particulièrement mauvais. Le marché des actions américain a même connu son pire mois de décembre depuis 1931. De ce fait, si nous considérons ce qui s’est passé ces six premiers mois de l’année dans cette perspective, nous avons surtout eu une correction de l’exagération à la baisse qui s’est produite au cours des trois derniers mois de l’an passé. Malgré sa belle remontée, l’Eurostoxx se situe à son niveau du début de l’été 2018. Il est en quelque sorte revenu à la case départ.

De ce fait, nous pouvons dire que nous avons surtout assisté à un rééquilibrage par rapport au gros coup de grisou que nous avons eu l’année dernière.

La correction de cette exagération vous parait-elle justifiée ?

La forte baisse de la fin de l’année dernière trouve sa principale explication dans l’anticipation d’une récession imminente qui nous paraissait non fondée au regard des principaux indicateurs. Aussi, nous avions pris au sein d’Invesco la décision de ne pas bouger les portefeuilles en dépit des rachats massifs observés sur le marché.
Le marché a réalisé au début de cette année qu’effectivement la récession n’était pas pour tout de suite et a décidé de rectifier le tir en conséquence.

Quel rôle attribuez-vous aux rachats d’actions dans cette situation d’ensemble ?

Ces opérations ont joué un rôle significatif, particulièrement aux Etats-Unis.

Depuis longtemps, les entreprises américaines sont de loin les premiers acheteurs des actions américaines. D’ailleurs 2018 a marqué un record dans ce domaine. Le trend s’est poursuivi sur les six premiers mois de l’année.
Ces rachats d’actions ont été orchestrés indépendamment de tout timing des marchés. Les entreprises participantes agissent sans aucune forme d’opinion ni sur la conjoncture, ni sur les valorisations… L’objectif premier est surtout de faire de la relution de bénéfices en diminuant le nombre d’actions en circulation.

Il est remarquable de relever que la forte hausse des marchés actions constatée depuis le début de l’année ait été faite avec d’importants flux de sorties continus…
Sur les 12 derniers mois, 150 milliards de dollars se sont retirés des marchés actions alors que 250 milliards de dollars ont été investis sur le marché obligataire.

Nous sommes en cela face à un schéma atypique. Habituellement les investisseurs ont tendance à rentrer sur le marché après avoir pris acte de son début de remontée.
Or dans le cas d’espèce, le rallye est bien entamé et les flux ne reviennent pas vraiment.

Nous pouvons craindre que cette configuration ne marque les prémisses d’un mouvement structurel de plus longue durée.

Que voulez-vous dire ?

Du coté des investisseurs particuliers, plusieurs études montrent que ces derniers en Europe continental, hors pays nordiques et Royaume-Uni, ont traditionnellement une forte aversion aux placements actions perçus comme des actifs très risqués et très volatiles. Ce sentiment a plutôt tendance à s’amplifier et dans un pays comme la France, le taux de détention des actions se situe à un plus bas historique.

En ce qui concerne les investisseurs institutionnels, la pression réglementaire exercée sur les fonds de pension, caisses de retraite et compagnies d’assurances… les poussent à se délester de plus en plus de leur exposition en actions.
La Réglementation Solvabilité II réclame clairement plus de capital à mettre en face des actions.
Par ailleurs, la baisse des taux d’intérêt, qui a entrainé une majeure grande partie des obligations en dessous de 0 (deux tiers plus de la moitié de la dette en zone euro, un quart tiers de la dette mondiale), a pour effet une diminution drastique des rendements obligataires pour ces investisseurs institutionnels et en cela une réduction du taux de couverture des engagements de versement de pensions, établis à partir de la pyramide des âges. Or, la réglementation Solvabilité II requière face à cette baisse du taux de couverture une diminution des placements dans les actifs risqués, et donc dans les actions.

Dit autrement, la baisse des taux augmente le cout pour servir les flux futurs. Pour honorer le versement de pensions à l’avenir, les investisseurs institutionnels doivent avoir plus de placements obligataires que par le passé.

En cela, les taux bas s’autoalimentent…

De manière contre intuitive, plus les taux baissent et plus des investisseurs institutionnels importants sont contraints d’augmenter leurs achats d’obligations. Effectivement, en cela, le phénomène s’autoentretient.

A quelle suite des événements faut-il s’attendre ?

La baisse structurelle des taux obligataires, même si elle n’a pas été en ligne droite, a commencé au début des années 1980.
Actuellement, nous sommes en haut de cycle ou en fin de cycle dans de nombreuses régions dans le monde. En principe, nous devrions avoir des taux d’intérêt plus élevés pour permettre une baisse éventuelle au moment du ralentissement du cycle.

Mais vraisemblablement, ce n’est pas le sens de l’histoire à court-moyen terme, principalement parce que les deux plus grandes banques centrales ont décidé de se montrer plus complaisantes.

Le marché anticipe pleinement des baisses des taux directeurs de part et d’autre de l’Atlantique.

Par conséquent, la baisse des taux longs pourrait encore s’amplifier.

A quel niveau voyez-vous les taux à dix ans allemand et américain ?

Il est difficile de donner un chiffre précis.

Le taux à dix ans allemand semble ancré sur le taux de refinancement des dépôts de la BCE, actuellement à -0.40% -0,20%. C’est un état d’équilibre que le marché a recherché ces derniers temps. Si cette dernière décide d’abaisser ce taux, il est probable que le Bund à 10 ans suivra le mouvement. Nous irions donc vers un aplatissement plus prononcé de la courbe des taux en Europe.

La nomination de Christine Lagarde à la tête de la BCE inattendue, a été bien accueillie. Quelle lecture en faites-vous ?

Christine Lagarde est considérée comme très accommodante et vue comme un soutien pour les marchés.
Celle-ci s’est vue confier un mandat extrêmement long de 8 ans. Il serait étonnant que nous n’ayons pas au cours de sa présidence une crise majeure à affronter. A priori, tout laisse penser pour le marché qu’elle sera en mesure de prendre les actions qui s’imposent même si pour cela elle devra sortir des sentiers battus.

Que pressentez-vous pour le parcours des marchés actions au cours d’ici la fin de l’année ?

Le marché directeur dans le compartiment des actions est le marché américain qui représente 55% de la cotation mondiale. Ce marché est étroitement surveillé par Donald Trump qui en a fait un indicateur de réussite personnelle. Ce dernier tweet chaque fois que le Dow Jones atteint un nouveau record. Il est plausible que jusqu’aux prochaines élections présidentielles américaines, le meilleur allié des marchés actions soit le Président des Etats-Unis. Le mouvement haussier pourrait ainsi se poursuivre.

Cela étant, la hausse de cette première moitié de l’année a été tellement forte qu’un trou d’air semble vraisemblable, peut être à l’occasion de la publication des résultats des entreprises qui a débuté ce mois de juillet.
Il n’est pas exclu que nous perdions un tiers ou la moitié de la hausse engrangée depuis janvier. Un parallèle peut être fait avec ce qui s’est passé en 1998. Nous avions eu une annulation de performance des six premiers mois dans le courant du troisième trimestre, avant que cela reparte encore très fort en fin d’année.

Une deuxième moitié d’année très volatile ponctuée de déclarations au sujet de la guerre commerciale ne serait pas surprenante.

Quel vous parait être le risque majeur à appréhender sur les marchés actuellement ?

Le risque majeur concerne le ralentissement du cycle économique mondial qui pourrait provoquer une récession bénéficiaire indépendamment d’une récession économique que beaucoup ne voient pas cette année. Nous nous rapprochons d’un niveau critique. Historiquement, il a été constaté que lorsque la hausse du PIB mondiale descend en dessous de 3%, nous avons un véritable problème sur la progression des profits des entreprises. Actuellement, est attendu un taux entre 3% et 3,5%.
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