* Le Brexit risque de déstabiliser la filière de la pêche

* Vers des négociations ardues sur les zones de pêche

* Tensions dans un secteur fragilisé

par Emmanuel Jarry

PARIS, 18 janvier (Reuters) - Le sort de dizaines de milliers de marins-pêcheurs et d'autres emplois de part et d'autre de La Manche est suspendu aux futures négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, un des enjeux du "hard Brexit" promis par Theresa May.

L'allusion, dans le discours prononcé mardi par la Première ministre britannique, est passée pratiquement inaperçue mais pas au Comité national des pêches (CNPMEM), organisme représentatif des professionnels du secteur en France.

"Je ne crois pas que les dirigeants de l'UE diront sérieusement aux exportateurs allemands, aux agriculteurs français, aux pêcheurs espagnols (...) qu'ils veulent les rendre plus pauvres juste pour punir la Grande-Bretagne", a-t-elle dit.

La mention des "pêcheurs espagnols" visait en réalité tout autant leurs collègues français, belges, néerlandais ou du nord de l'Europe, estime-t-on au CNPMEM.

Un responsable de cet organisme interrogé par Reuters y voit aussi un gage donné par Theresa May aux pêcheurs écossais, qui ont voté massivement pour le Brexit, contrairement à la majorité de l'électorat de l'Ecosse, en juin 2015.

L'adhésion du Royaume-Uni en 1973 a permis de mettre de l'ordre dans la gestion des ressources halieutiques de l'UE dans le cadre de la Politique commune de la pêche (PCP).

Celle-ci s'efforce de préserver les stocks de poissons par des quotas tout en offrant à l'ensemble de la flotte de pêche européenne une égalité d'accès aux eaux de ses Etats membres.

Une "renationalisation" de la zone économique exclusive (ZEE) britannique de 200 milles nautiques remettrait en cause le délicat équilibre obtenu grâce à la PCP, contestée depuis le début par les pêcheurs britanniques.

"Si les Anglais décident de nous interdire l'accès à leurs 200 milles, c'est entre 70 et 80% de l'activité de la pêche française, belge, néerlandaise, qui est mise en cause", souligne l'eurodéputé français Alain Cadec, président de la Commission de la pêche du Parlement européen.

RISQUE DE TENSIONS

"Evidemment, il y aurait des rétorsions. Mais je ne peux même pas imaginer qu'on en arrivera là", ajoute ce conseiller pour les affaires européennes du candidat de la droite à l'élection présidentielle française, François Fillon. "C'est un marqueur des négociations qui vont s'ouvrir" avec Londres.

Pour Alain Cadec, les Britanniques, qui exportent environ 65% du produit de leur pêche dans l'UE, prendraient le risque d'être les plus grands perdants de l'absence d'accord.

Il admet cependant que tout le monde serait pénalisé et estime que des accords sont possibles sur le modèle de ceux que l'UE a conclus avec la Norvège, par exemple.

"Si on veut maintenir une activité économique importante en matière de pêche et d'aquaculture, on est condamné à trouver des compromis, même dans le cadre d'un hard Brexit", dit-il. "Sinon ce serait suicidaire pour les uns et pour les autres."

Une source européenne estime que le Royaume-Uni sera de toute manière tenu de respecter les conventions internationales existantes sur la pêche et l'accès aux ZEE.

"Les partisans du Brexit ont dit 'on va pêcher comme on veut'. Mais ça ne se passera pas comme ça. Ils vont devoir négocier et il n'est pas sûr que ce sera plus facile pour eux", souligne cette source.

Aujourd'hui, sur quelque 160 espèces sous quota européen, une centaine sont exploitées par les pêcheurs britanniques.

"Si les Anglais sortent de l'UE, cette question devra être résolue dans l'accord qui actera leur sortie", de même que la question de l'accès aux ZEE, dit-on au CNPMEM.

Une autre question devra aussi être réglée : celles des "bases avancées" que des navires de pêches français utilisent sur les côtes britanniques pour limiter les aller-retours avec leurs ports d'attache.

En attendant l'issue de négociations qui s'annoncent ardues, un regain de tensions entre les pêcheurs britanniques et leurs homologues du reste de l'UE est à craindre, juge-t-on au CNPMEM. (Edité par Yves Clarisse)