Les marchés actions ont expérimenté hier la théorie de l'élastique, avec à la clef une séance propice aux superlatifs. L'élastique s'est tendu ces dernières semaines, à mesure que les investisseurs se désespéraient de recevoir un signe macroéconomique fiable pour anticiper un retournement de la politique d'austérité de la banque centrale américaine. Ce signe, ils l'ont obtenu hier à 14h30, sous la forme d'une inflation moins élevée que prévu aux Etats-Unis en octobre. L'élastique, au lieu de casser, est brutalement parti vers l'avant. Bilan, une hausse de 7,5% pour le Nasdaq 100, le baromètre des actifs à risque. Et de 5,5% pour le S&P500, plus varié. Les algorithmes et les investisseurs à sang chaud se sont rués sur toutes sortes de dossiers, dont ceux offrant le plus gros effet de levier, qui flambent le plus à court terme lors de ces périodes débridées.

Le nouveau sentiment dominant est que les hausses de taux commencent à porter leurs fruits en courbant l'inflation, si bien que la Fed n'aura pas à aller trop loin dans sa politique punitive. La mécanique classique s'est mise en place : le dollar a baissé, fort, comme les taux obligataires américains, avec une échéance à 10 ans rémunérée 3,81% ce matin contre 4,10% il y a 24h00. Les échéances plus courtes sont toujours inversées, ce qui signifie que le marché continue à voir venir un ralentissement économique. Il l'espère même, puisque c'est une condition pour que la banque centrale américaine revienne à une politique plus souple, donc pro-marchés financiers. La mauvaise nouvelle d'un ralentissement économique est en fait une bonne nouvelle pour Wall Street, qui est dans l'anticipation.

Pour ne pas être totalement exclu de la fête du superlatif, je précise que c'est la meilleure séance du Nasdaq depuis mars 2020 et la pire séance du Dollar Index, qui confronte le billet vert à un panier des principales devises, depuis dix ans. Des voix vont s'élever çà et là pour appeler à la prudence, que rien n'est encore fait, que l'inflation reste folle et qu'il faudra d'autres signes confirmatoires avant une réelle inflexion de politique monétaire. C'est vrai, mais à court terme, les investisseurs ont eu le moment waouh qu'ils attendaient depuis des mois. Enfin pas tous les investisseurs : ceux qui avaient misé sur Teleperformance ont marché sur le râteau. C'est mon focus du jour.

La foudre est tombée hier sur le numéro un mondial des centres d'appels, ce qui a provoqué une discussion intéressante au sein de l'équipe. Si vous ne savez pas de quoi je parle, je résume à grands traits. L'action de la société du CAC40 a démarré la séance en forte baisse avant d'être suspendue autour de 11h00 sur un plongeon de 34%. Plusieurs médias, comme Dow Jones et Zonebourse, ont rapidement trouvé l'origine de la chute : l'ouverture d'une enquête en Colombie après des révélations sur des conditions de travail indignes de salariés du groupe assurant la modération du réseau chinois TikTok. Le plus étonnant, c'est que l'enquête réalisée par le collectif de journalistes d'investigation Bureau of Investigative Journalism est sortie le 20 octobre dernier dans une relative indifférence. Mais un tweet du vice-ministre du travail colombien relayé par Time, qui avait publié l'enquête, a mis le feu aux poudres hier. La Colombie n'est pas un pays anodin pour Teleperformance, puisqu'il héberge 10% de ses effectifs pléthoriques, soit 42 000 personnes sur 420 000.

Maintenant que le décor est planté, revenons à cette fameuse discussion interne. L'un de nos analystes trouvait la sanction un peu salée au regard des révélations. Après tout, soulignait-il, tous les investisseurs savent que Teleperformance est une entreprise qui a basé son modèle sur une main d'œuvre bon marché et qu'il existe un risque de ce côté-là. Bon évidemment, cela ne justifie pas de potentiels abus, mais disons que mon collègue appliquait une sorte de raisonnement cartésien et sans doute trop chirurgical. Pour la faire courte, il estimait que même en cas de révélations fracassantes, la société a les moyens de démontrer sa bonne foi si c'est le cas, ou de sortir la panoplie de crise habituelle : mea culpa, audit, mesures correctrices, autoflagellation, campagne de communication éthique. Et puis les révélations ne "pèsent" probablement pas le tiers de la valorisation qui est partie en fumée hier. Et puis il y a la présomption d'innocence, comme j'ai pu le lire dans une analyse parue hier soir.

Sur un plan purement théorique, ce type de raisonnement se tient peut-être. Mais pas dans la réalité. En tout cas plus à partir du moment où une société s'expose à l'indignation collective. L'affaire Teleperformance pourrait n'être qu'un feu de paille ou se terminer en plan de communication de crise réussi (quoique l'annonce d'un plan de rachat d'actions comme réaction première, c’est-à-dire mettre du financier pur en face d'une source d'émotion, ne m'apparaît pas comme la réponse la plus habile). Mais elle pourrait aussi partir totalement en vrille. Que se passerait-il si l'affaire prenait des proportions importantes en Colombie ? Si elle inspirait d'autres salariés dans d'autres pays ? Si elle entraînait des révélations supplémentaires ? Ou si la machine médiatico-réseau-sociétale servait de caisse de résonance ? Ce sont tous ces risques potentiels qui ont entraîné le -34% du titre hier, pas une approche financière analytique.

Pour faire des parallèles, et non des comparaisons puisque chacune des situations est très différente, je peux citer en France les exemples récents d'Orpéa ou de Solutions 30. Quand une entreprise perd le fil de sa propre narration, ce ne sont plus les comptes ou les notes extra-financières caricaturales des agences ESG qui font la tendance, c'est tout ce qui reste tapi dans l'ombre, le syndrome du "il n'y a pas de fumée sans feu". Dans le cas de Teleperformance, cette dimension n'apparaît évidemment pas dans une lecture purement financière, laquelle, révélations ou pas, est excellente avec des marges très élevées. Mais on ne se débarrasse pas facilement de l'odeur de brûlé.

Mais trêve de psychologie de comptoir boursier. Les marchés financiers sont rassérénés par les chiffres de l'inflation aux Etats-Unis. Les indicateurs avancés des places occidentales sont encore haussiers, pendant que l'Asie Pacifique a le vent en poupe à l'issue de la dernière séance de la semaine. 2,8% de hausse en Australie et en Chine continentale, 3% de hausse au Japon et 7% de hausse à Hong Kong, le marché le plus déjanté du moment. La Chine où les autorités ont annoncé coup sur coup aujourd'hui une remontée des cas de coronavirus et un léger assouplissement de la politique zéro-covid. Allez comprendre. En tout cas, tout à l'air de s'aligner pour terminer la semaine dans des dispositions bien plus favorables qu'elle n'avait commencé. Le CAC40 démarre la séance en hausse de 0,9% à 6630 points.

Les temps forts économiques du jour

L'Allemagne a publié à 8h00 l'estimation affinée de l'inflation d'octobre, confirmée à 11,6% sur un an. Aux Etats-Unis, place à 16h00 à l'indice de confiance des consommateurs de l'Université du Michigan de Novembre. Tout l'agenda macro ici.

L'euro s'est "envolé" à 1,0224 USD. L'once d'or valide son rebond à 1761 USD. Le pétrole rebondit, avec un Brent de Mer du Nord à 95,64 USD le baril et un brut léger américain WTI à 88,40 USD. Le rendement de la dette américaine sur 10 ans a chuté à 3,81%. Le bitcoin se stabilisé après son plongeon et un rebond partiel, 17 340 USD.

Les principaux changements de recommandations

  • ArcelorMittal : J.P. Morgan reste neutre avec un objectif de cours relevé de 23,50 à 24,50 EUR.
  • Barry Callebaut : Credit Suisse reste à surperformance avec un objectif de cours réduit de 2390 à 2265 CHF.
  • Bechtle : Jefferies reste à l'achat avec un objectif de cours réduit de 58 à 51 EUR.
  • Deutsche Post : Goldman Sachs reste neutre avec un objectif relevé de 38 à 40 EUR.
  • Henkel : Société Générale passe de conserver à acheter en visant 77 EUR.
  • Implenia : Research Partners reste à conserver avec un objectif de cours relevé de 30 à 40 CHF.
  • Porsche AG : Jefferies démarre le suivi à conserver en visant 95 EUR.
  • PSP Swiss Property : Research Partners reste à conserver avec un objectif de cours réduit de 130 à 125 CHF.
  • Scor : Jefferies passe de conserver à acheter en visant 22,50 EUR.
  • SES-Imagotag : Berenberg reste à l'achat avec un objectif relevé de 140 à 170 EUR.
  • SLM Solutions : Jefferies passe d'acheter à conserver en visant 20 EUR.
  • SMA Solar : Jefferies reste à conserver avec un objectif de cours relevé de 52 à 55 EUR.

En France

Annonces importantes (et moins importantes)

Dans le monde

Résultats des entreprises (les indications sont données à chaud et ne préjugent pas de l'orientation des actions)

  • Cellnex : les bénéfices sur neuf mois augmentent de 45%, mais les perspectives sont légèrement revues à la baisse.
  • Compagnie Financière Richemont : affiche une perte au premier semestre après la dépréciation liée à la sortie de YNAP.
  • SoftBank : revient dans le vert au 2e trimestre fiscal.
  • Toshiba : annonce une chute de 75% de son bénéfice d'exploitation trimestriel et réduit ses perspectives pour l'ensemble de l'année.

Annonces importantes (et moins importantes)

Lectures