De passage à Paris, le milliardaire Azim Premji a rencontré un journaliste des Echos, qui en a profité pour remettre en perspective cette success story à l’indienne. Revenu en catastrophe en 1966 dans son pays à la mort de son père, le jeune étudiant à l’université de Stanford a repris à 21 ans l’entreprise de son père, spécialisée dans le commerce de l’huile de cuisson. Aujourd’hui, Azim Premji dirige Wipro, géant du logiciel, et sa fortune dépasse les 17 milliards de dollars.

Trois facteurs expliquent la réussite foudroyante de notre baron : le départ forcé d’IBM, chassé d’Inde en 1977 par le gouvernement, sa maîtrise experte de la langue anglaise, et le mouvement d’externalisation de l’informatique initié par les pays anglo-saxons. Azim Premji a en outre senti avant tout le monde la nécessité de viser des labels de qualité élevés (dé-ploiement de solutions complètes, mais aussi embauche de personnels qualifiés) pour plaire aux pays développés.

La fin de l’âge d’or ?
Mais l’âge d’or, marqué par des croissances annuelles comprises entre 15% et 20%, semble révolu, et il est aujourd’hui temps de se poser de nouvelles questions. Géographiquement parlant d’abord. Les SSII indiennes réalisent encore quasiment les trois quarts de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Or, la source se tarit et la crise financière est passée par là (Lehman Brothers était un grand client de Wipro). Conséquence, en 6 ans, le groupe d'Azim Premji a vu sa croissance passer de 30% à 2% l’année dernière.

Dès lors, la quête de leviers de croissance est devenue un travail à temps plein pour notre milliardaire. La France et l’Allemagne, et notamment leurs grands groupes (Michelin, ArcelorMittal), constituent aujourd’hui des cibles de premier choix. Cela passe par un objectif récemment avoué : avoir la moitié des salariés de Wipro hors d’Inde pour mieux accompagner les clients, ce qui coûte cher... A cela s’ajoute le frein constitué par le chantage aux visas de travail, pour les étrangers venant exercer sur le sol américain notamment.

Autre exigence : chasser des têtes. En 2011, Wipro et ses concurrents indiens (Infosys et Tata) devraient embaucher 100 000 personnes. Le secteur est en effet confronté à un phénomène nouveau, le turnover, obligeant à proposer des salaires attractifs et des conditions de travail confortables, ce qui là aussi a un coût...

Dernier obstacle, et pas le moins compliqué : la compétition. Habitués à vendre de la qualité informatique à des prix défiant toute concurrence, les SSII indiennes doivent désormais composer avec des groupes occidentaux venant s’installer sur leur sol. Le monde à l’envers ! IBM, Accenture ou Capgemini deviennent donc redoutables, notamment en tirant les salaires vers le haut.

Azim Premji est bien conscient de ces bouleversements : « La frontière entre nous et les grands occidentaux du domaine s’efface. Nous apprenons leur métier, ils apprennent le nôtre, ce qui est bon pour le consommateur... » Conclusion : dans les services informatiques, la frontière entre pays développés et pays émergents est de plus en plus floue. Un avant-goût d’un mouvement généralisé ?