Il n'y a pas photo, ce que les investisseurs professionnels et les actionnaires apprécient le plus dans les rachats d'actions, c'est leur annulation. En effet, faire disparaître des actions accroît la valeur de celles qui restent, c'est mécanique. Mais au-delà de cela, racheter et annuler des actions permet aux entreprises de piloter finement leurs bénéfices par action pour qu'ils coïncident avec les prévisions des analystes, voire, soyons fous, qu'ils les dépassent. Ce sont aussi des messages subliminaux positifs envoyés au marché. Notamment "j'ai tellement d'argent que je peux me permettre de racheter mes titres" ou "j'ai tellement confiance dans le parcours de mes actions que je me permets de racheter à ce prix". Ce sont des moteurs de performance puissants.

Et il n'y a pas que de l'esbrouffe là-dedans, loin de là. Les statistiques historiques montrent que les entreprises qui affichent des taux de rachats élevés surperforment systématiquement les autres, comme le prouvent de nombreux travaux, dont ceux de Liberum cités ici en octobre dernier.

Les entreprises européennes se sont mises tardivement aux rachats-annulations d'actions à rythme industriel, mais la pratique est en ascension. En revanche, il y a belle lurette qu'elles rachètent des actions pour divers motifs, le plus fréquent étant d'assurer la liquidité de leurs titres en bourse, en confiant à des intermédiaires des missions d'animation et de stabilisation sur le marché (contrat de liquidité). C'est là que je voulais en venir. Je vois régulièrement des investisseurs qui s'enthousiasment pour des rachats d'actions annoncés par telle ou telle entreprise comme si c'était le signe de plus-values à venir. La réalité est souvent beaucoup plus basique, même si les agences de com' font leur possible pour laisser penser le contraire.

Klarsen en cobaye

Je prends l'exemple d'un communiqué que j'ai reçu hier soir à 18h11, en provenance de Klarsen, une société cotée sur Euronext Growth. Je précise que je n'ai rien contre Klarsen et que cet exemple est purement opportuniste. L'agence de la société a donc envoyé un communiqué intitulé "Klarsen lance un programme de rachat d'actions". L'information est factuelle, rien à dire, même si elle donne l'occasion de faire entrer Klarsen dans la catégorie des "racheteurs" d'actions, perçue à juste titre positivement par le marché, on l'a vu précédemment.

Le communiqué est classique. Il mentionne que la société a confié à Champeil un mandat d'acquisition d'actions pour un montant maximum de 1,5 M€ sur 18 mois. Le montant plafond de rachat est de 7,50 EUR par action et l'opération ne peut porter sur plus de 10% du capital, conformément à l'autorisation donnée par l'assemblée générale du 16 juin dernier. En droit français, les rachats d'actions doivent être autorisés par l'assemblée générale, comporter une enveloppe et un montant plafonds et fixer une échéance maximale de 18 mois. En outre, une société n'a pas le droit de détenir plus de 10% de son capital. Klarsen s'inscrit donc dans ce cadre réglementaire.

Deux précisions toutefois, pour les moins familiarisés avec le concept :

  • Le prix plafond n'est PAS une sorte d'objectif de cours ou de valorisation réalisée par un spécialiste. Il est déterminé à partir de la valeur d'une action au moment de la préparation des résolutions de l'assemblée générale. Il est toujours supérieur au cours de bourse, pour laisser une certaine marge de manœuvre dans la mesure où le programme de rachat court généralement sur 18 mois. Dans le cas de Klarsen, le prix plafond de 7,50 EUR avait été déterminé en juin, lorsque l'action cotait entre 3,50 et 4 EUR.
  • En France, l'assemblée générale doit voter des objectifs pour le programme de rachat. Concernant notre cobaye Klarsen, les objectifs ne sont pas mentionnés dans le communiqué, mais le sont dans le renvoi à l'information réglementée publiée sur le site institutionnel de la société (trouvable aussi sur le site de l'AMF). Voici, en version synthétique, les objectifs du programme, qui sont toujours fournis par ordre de priorité :
    1. Favoriser la liquidité et animer le cours des titres de la société. Là, mission est donnée à Champeil d'animer le contrat de liquidité.
    2. Remettre les titres rachetés en paiement ou en échange dans le cadre d’une opération de fusion, de scission ou d’apport.
    3. Attribuer des actions aux salariés ou mandataires sociaux en rémunération.
    4. Attribuer les actions rachetées lors d'opérations conversion, d'échange ou de bons.
    5. Attribuer des actions rachetées dans le cadre de la mise en œuvre de toute pratique de marché qui viendrait à être admise par l’AMF.

Et c'est tout ! Klarsen n'annulera pas les actions rachetées, parce que ce n'est pas prévu dans le programme. On est donc assez éloignés du rachat-annulation d'actions institutionnel. Certes, les autres motifs mentionnés sont légitimes, susceptibles de réduire la dilution future et classiques, mais la société n'a pas l'air déterminée à réduire progressivement le nombre de titres en circulation pour renforcer la valeur unitaire de ses actions. En tout cas pas pour le moment. Peut-être, du coup, que l'emballement du jour sur Klarsen (+17%), dans le sillage de l'annonce du programme, est un poil excessif.