Un A400M s'était écrasé près de Séville lors d'un vol d'essai en mai 2015, tuant quatre des six membres d'équipage. Trois de ses quatre moteurs s'étaient figés quelques minutes après le décollage.

Les données nécessaires au fonctionnement des moteurs avaient été accidentellement effacées à l'occasion du chargement d'un logiciel au sol et les pilotes n'avaient pas connaissance d'un quelconque problème jusqu'à ce que les moteurs tombent en panne, avait rapporté Reuters quelques semaines après la catastrophe, citant plusieurs sources au fait du dossier.

Un rapport confidentiel de l'armée espagnole, rédigé cet été, met en lumière le manque de coordination et les décisions mal avisées qui ont gâté le plus important projet militaire de l'Europe.

Ses conclusions confirment que le fonctionnement des moteurs a été entravé par un effacement de données, selon des extraits dont ont pris connaissance Reuters et trois personnes au fait des investigations.

Le rapport dit aussi que les motoristes avaient prévenu en octobre 2014 Airbus et l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) que des erreurs d'installation logicielle risquaient de provoquer des pertes de données touchant aux moteurs et que les techniciens risquaient de ne pas être avertis de l'existence d'un problème avant le décollage.

Contacté par Reuters, Airbus a dit que le crash résultait "de multiples et divers facteurs et causes afférentes" mais s'est abstenu de tout commentaire sur les conclusions d'une enquête qui n'ont pas été rendues publiques.

Depuis lors, l'avionneur européen a revu tous les systèmes et fait en sorte que "l'enchaînement des causes identifiées ne se reproduise plus", a ajouté un porte-parole.

L'AESA s'est refusé à tout commentaire.

Le motoriste Europrop International (EPI), propriété de Rolls-Royce, de MTU et de Safran, s'est abstenu de tout commentaire.

Même mutisme de la part du ministère de la Défense espagnol, dont l'organisme chargé des accidents aériens a mené l'enquête.

DIVISIONS

L'accident est considéré par certains experts de la sécurité comme un cas d'école, donc rare, d'accumulation de défauts apparemment mineurs qui aboutissent en bout de chaîne à la création d'un grave risque, occurrence symptomatique de systèmes de vol de plus en plus complexes.

Le programme A400M, développé pour l'Espagne, la Belgique, la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, le Luxembourg et la Turquie, a pâti de multiples retards et dépassements de budget, pour un investissement initial de 20 milliards d'euros.

L'A400M s'est vu imposer des restrictions de vol immédiatement après le crash mais la France a depuis lors vanté ses mérites lors d'opérations contre des militants islamistes au Sahel. Il a également été employé par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne pour des opérations de secours à la suite des ouragans qui ont frappé les Antilles.

L'enquête espagnole révèle des divisions entre Airbus et ses motoristes alors même que l'avionneur négocie un nouveau calendrier de livraison avec les pays européens et qu'il compte constituer de nouvelles provisions sur le projet cette année.

Airbus et EPI divergent ainsi sur la question de savoir qui avait la responsabilité d'installer le logiciel des moteurs. Le logiciel a été implanté par du personnel d'Airbus en l'adaptant au système informatique de l'avion, alors qu'EPI estime que ce sont ses techniciens qui auraient du procéder à la manoeuvre en s'appuyant sur son propre système, lit-on dans le rapport.

EPI affirme qu'il avait la responsabilité d'installer le logiciel au regard du droit civil, ce qui atteste de l'existence d'une certaine confusion, à l'époque de l'accident, entre juridiction civile et militaire concernant cet avion.

De fait, l'A400M constitue un cas à part car il est un avion militaire faisant l'objet d'une certification civile européenne.

Airbus avance les mêmes arguments qu'EPI mais en mettant en avant le droit militaire. Il ajoute que la conception ne répondait pas à son cahier des charges, ce que conteste EPI, selon trois sources au fait de l'enquête.

Les responsables espagnols ont donné raison à Airbus, jugeant que la chaîne de montage constitue du matériel militaire, en dehors, de ce fait, de toute juridiction civile.

ERREUR HUMAINE

Pour autant, poursuit le rapport, les problèmes potentiels dont les motoristes avaient fait part à Airbus en octobre 2014 impliquent la possibilité d'une erreur humaine dans la procédure d'installation.

Le problème réellement survenu avant l'accident était de nature technique, de l'avis des enquêteurs. Les données des trois moteurs ont été effacées lorsqu'une première installation du logiciel a échoué et elles n'ont jamais été récupérées lors des chargements qui ont suivi.

Les enquêteurs estiment enfin que la réponse apportée à l'avertissement des motoristes n'était pas adaptée. "Les mesures adaptative qui ont résulté de cette information n'étaient pas suffisantes", disent-ils, ajoutant qu'il aurait fallu procéder à une analyse du risque intégral de la procédure d'installation.

Lorsque l'avion s'est retrouvé dans les airs, l'enchaînement fatal des événements s'est accéléré.

Incapable de comprendre comment faire tourner les moteurs parce qu'il ne disposait pas des données manquantes, le système a bloqué la puissance de l'avion alors qu'elle était au maximum, le préparant ainsi à accélérer et à grimper en altitude, selon les trois sources au fait des investigations.

Mais les contrôleurs avaient ordonné à l'équipage de rester à une altitude de 1.500 pieds et ce dernier a alors réduit la poussée, ignorant du fait que la seule alternative à une puissance maximale était des moteurs à zéro, ont poursuivi les sources.

Les moteurs se sont alors mis à l'arrêt, un seul d'entre eux fonctionnant encore, provoquant la plongée de l'appareil.

Même si les circonstances techniques étaient contre eux, certains experts remettent en cause la manière dont les pilotes ont réagi, arguant que, lorsque le problème des moteurs est survenu, ils auraient pu passer outre les contrôleurs, prendre de l'altitude puis ajuster la poussée.

Les enquêteurs ont déterminé que les pilotes n'avaient pas été préparés à une telle éventualité et que les systèmes de résolution des problèmes de l'A400M ne les y avaient pas aidés. Airbus affirme, lui, que les pilotes étaient qualifiés et très expérimentés.

(Avec le bureau de Séville, avec Sarah White à Paris, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Cyril Altmeyer)

par Tim Hepher

Valeurs citées dans l'article : Airbus SE, Safran, MTU Aero Engines, Rolls-Royce