La société canadienne Alimentation Couche-Tard a renoncé à son offre de 16,2 milliards d'euros (19,6 milliards de dollars) pour acquérir le distributeur européen Carrefour SA après que le projet de rachat se soit heurté à une forte opposition du gouvernement français, ont déclaré vendredi à Reuters deux sources au fait de la question.

La décision de mettre fin aux négociations de fusion est intervenue après une réunion vendredi entre le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, et le fondateur et président de Couche-Tard, Alain Bouchard, ont déclaré les sources, sous couvert d'anonymat car l'affaire est confidentielle.

Couche-Tard et Carrefour ont refusé de commenter.

Plus tôt dans la journée de vendredi, la France a exclu toute vente de l'épicier Carrefour pour des raisons de sécurité alimentaire, ce qui a incité l'entreprise canadienne et ses alliés à organiser une ultime tentative pour sauver l'accord.

"La sécurité alimentaire est stratégique pour notre pays, c'est pourquoi nous ne vendons pas un grand distributeur français. Ma réponse est extrêmement claire : nous ne sommes pas en faveur de l'accord. Le non est poli mais c'est un non clair et définitif", a déclaré M. Le Maire.

Couche-Tard espérait obtenir la bénédiction du gouvernement en proposant des engagements en matière d'emploi et de chaîne d'approvisionnement alimentaire en France, et en maintenant l'entité fusionnée cotée à Paris et à Toronto. Alexandre Bompard, le patron de Carrefour, et son homologue de Couche-Tard, Brian Hannasch, en seraient les codirecteurs généraux, selon l'une des sources.

Le plan comprend l'engagement de maintenir les opérations stratégiques mondiales de la nouvelle entité en France et la présence de ressortissants français à son conseil d'administration, a-t-il ajouté.

Couche-Tard, conseillé par Rothschild, allait également injecter environ 3 milliards d'euros d'investissements dans le distributeur français qui travaillait sur l'accord avec Lazard.

La proposition a été largement soutenue par Carrefour, qui emploie 105 000 personnes en France, son plus grand marché, ce qui en fait le plus grand employeur du secteur privé du pays.

Le rejet de l'accord par la France moins de 24 heures après la confirmation des pourparlers a suscité la grogne de certains milieux d'affaires qui s'interrogent sur la façon dont le président français Emmanuel Macron, un ancien banquier d'affaires, repousse les investissements étrangers.

Certains politiciens et banquiers ont déclaré que ce refus pourrait ternir l'image pro-business de Macron, tandis que d'autres ont souligné que la crise du COVID-19 avait forcé plus d'un pays à redéfinir ses intérêts stratégiques nationaux.

DRAPEAU BLANC

Au milieu d'une vague de lobbying transatlantique, M. Bouchard de Couche-Tard - qui a commencé ses activités de dépanneur en 1980 - s'est rendu à Paris pour expliquer les mérites de l'accord à M. Le Maire, selon la source.

Mais le ministre des finances a réitéré son opposition sans écouter les termes de la transaction et a déclaré qu'un tel accord ne devrait pas être réexaminé avant les élections présidentielles françaises de 2022, ont indiqué les sources.

Couche-Tard a d'abord étudié la possibilité de poursuivre son offre malgré la position du gouvernement sur la transaction, mais a ensuite décidé de lever le drapeau blanc et d'éviter une tempête politique, a déclaré l'une des sources.

Un fonctionnaire du gouvernement canadien, qui a demandé à ne pas être nommé parce qu'il n'était pas autorisé à parler aux médias, a déclaré que s'il était compréhensible que le gouvernement français ne veuille pas que le plus grand employeur du pays passe dans des mains étrangères pour des raisons politiques, "on ne peut pas accuser un fleuron canadien comme Couche-Tard de mettre en danger la souveraineté alimentaire du pays tout entier."

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, interrogé plus tôt sur les perspectives d'un accord, a déclaré qu'il serait toujours là pour aider les entreprises canadiennes à réussir à l'international.

Couche-Tard, qui se concentre principalement sur les stations-service en Amérique du Nord, a mis de côté un plan de rachat de 5,6 milliards de dollars pour la chaîne de stations-service Caltex Australia en 2020, la demande de carburant ayant plongé en raison de l'épidémie de coronavirus.

Carrefour a lancé un plan de refonte de cinq ans en 2018 pour réduire les coûts et stimuler les investissements dans le commerce électronique afin de faire face aux concurrents en ligne ainsi qu'aux rivaux nationaux tels que Leclerc. Il s'est également développé dans les magasins de proximité pour réduire sa dépendance à l'égard des grands hypermarchés qui représentent toujours la majeure partie de ses ventes.

Les distributeurs alimentaires du monde entier bénéficiant d'une forte demande, les consommateurs restant chez eux pendant la pandémie de COVID-19, Carrefour a publié des résultats solides au troisième trimestre en France ainsi que sur d'autres marchés clés au Brésil et en Espagne.

Le PDG Bompard a déclaré à plusieurs reprises que le secteur de la distribution était voué à la consolidation et que sa mission était de faire en sorte que Carrefour en sorte gagnant.

(1 $ = 0,8282 euro)