En attendant l'arrivée à Lyon de Jane Campion, Maggie Gyllenhaal et Rebecca Hall ont présenté en avant- première leurs deux premiers films nourris de sensibilité féminine et de désirs d'émancipation.

L'une des (re)découvertes de ce festival Lumière 2021 a pour nom Kinuyo Tanaka. Si certains connaissaient la comédienne, reine du mélo dont la silhouette irradiait les films d'Ozu et Mizoguchi, beaucoup découvrent aujourd'hui la réalisatrice, qui enchaîna six grands films entre le début des années 50 et la fin des années 60. Besoin d'émancipation, désir de faire entrer une autre voix, ré-appropriation charnelle de sujets intimes, le cinéma de Tanaka est aussi étonnant que profondément politique. Coïncidence saisissante: plus de soixante ans plus tard, ces désirs-là sont précisément ceux de deux grandes actrices hollywoodiennes venues présenter leurs premiers films respectifs à Lyon.

Rebecca Hall à l'institut Lumière à Lyon

Le premier, Clair Obscur, réalisé par Rebecca Hall, est un tour de force esthétique tourné au format 1.33. Il baigne dans un noir et blanc ultra-contrasté qui recrée le Chicago de la fin des années 20. L'intrigue suit une jeune femme noire qui retrouve par hasard la trace d'une de ses vieilles amies d'enfance. Aidée par sa couleur de peau très claire, cette dernière se fait désormais passer pour une blanche et a décidé d'intégrer la classe dominante de la ville. Il serait criminel de dévoiler la suite de l'histoire, sachez juste que le film va trouver dans l'esthétique des mélodrames muets, un carburant idéal pour nous proposer une tragédie qui relève du jamais-vu.

Plus près de ses actrices, plus classique dans son approche, commençant d'ailleurs comme un thriller, The Lost Daughter raconte l'histoire de Léda, professeure de fac en vacances sur une île grecque. Sa tranquillité va vite être troublée par l'arrivée d'une famille, dont la jeune mère va lui renvoyer des échos de son propre passé. Ils vont réveiller un sentiment maternel fait de culpabilité et d'angoisse… Maggie Gyllenhaal déconstruit ici de manière subtile les clichés sur la maternité et suggère qu'il faut parfois renoncer à être mère pour devenir femme.

Maggie Gyllenhaal à l'institut Lumière à Lyon

Aussi différents soient-ils, The Lost Daughter et Clair-Obscur proposent l'avènement d'un nouveau regard proprement féminin, et imposent une autre vision du monde. Devant l'émotion de Rebecca Hall, ou au moment du tonnerre d'applaudissements qui concluait la présentation de The Lost Daughter, on comprenait que si ces films pourraient être décisifs pour leurs réalisatrices. En interview, Rebecca Hall, nous confiait ceci : « en tant que femme, on ne nous a jamais permis de devenir cinéaste. Depuis l'enfance je suis cinéphile, fan d'Hitchcock par exemple. Mais quand j'ai voulu apprendre la mise en scène, j'ai vite abandonné :il n'y avait pas de modèle pour moi, très peu de femmes pour nous inspirer… » Quelques heures plus tôt, devant la grande salle comble de l'Institut Lumière, Maggie Gyllenhaal lui emboitait le pas. «Enfant, je voulais être actrice parce que j'aimais raconter des histoires. Mais en tant que comédienne, j'ai vite compris que, même lorsque j'étais vraiment en confiance avec mon réalisateur, à peine 70% de mon travail transparaissait à l'écran. J'ai donc eu envie d'être moi-même, envie de reprendre le contrôle de mon travail, envie que 100% de ma vision soit enfin représentée à l'écran. Dès leur naissance, les femmes semblent signer un pacte qui leur impose de rester silencieuse pour le reste de leur vie. C'est pour ça que j'ai adapté Poupée volée d'Elena Ferrante: quand j'ai découvert ce livre, j'ai compris que l'autrice avait décidé de rompre ce pacte. Et mon film doit désormais témoigner de cela ».

Maggie Gyllenhaal présente son premiere film The Lost Daughter au festival Lumière

Dans leur genre comme dans leur tonalité, Clair-obscur et The Lost Daughter sont deux objets très éloignés l'un de l'autre, parfaitement distincts. Mais pris dans ce contexte festivalier, où le public les découvre coup sur coup, ils finissent par se retrouver, s'embrasser et pour ne plus se (nous) quitter. Ils s'imposent comme une évidence: voilà des portraits de femmes qui frappent autant par la finesse de leur trait que par leur singularité dans le paysage contemporain. Y est exposée la vie intime, secrète et sociale, d'héroïnes aussi fortes que fracturées, avec une précision à laquelle le cinéma nous avait peu habitués. Le Prix Lumière qui sera remis samedi à Jane Campion ne fait que confirmer ce pressentiment: à Lyon les plus beaux regards sont indéniablement féminins.

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