Reuters a révélé mardi que des banquiers de l'alliance entre le constructeur automobile français et son partenaire japonais avaient élaboré un projet préliminaire permettant de verser des millions d'euros de bonus annuels supplémentaires à Carlos Ghosn et à d'autres dirigeants via une société de service créée spécialement pour l'occasion aux Pays-Bas.

"C'est le document d'un consultant qui est venu nous faire un certain nombre de propositions", a dit le PDG de Renault-Nissan au cours de l'assemblée générale des actionnaires de Renault. "Nous sommes très ouverts (...) ceci ne veut pas du tout dire que quand nous écoutons une idée nous allons la mettre en pratique."

"Nous n'avons pris aucune décision, nous ne sommes pas près de prendre des décisions de ce genre", a ajouté Carlos Ghosn, précisant que le sujet n'avait été analysé ni par le comité exécutif, ni par le conseil d'administration de Renault.

La projet a été présenté par Ardea Partners, société de banque d'investissement basée à Londres et fondée l'an dernier par Christopher Cole, ancien banquier de Goldman Sachs proche de Carlos Ghosn. Elle apporte "conseil stratégique et financier aux dirigeants, fondateurs et conseils d'administration des entreprises internationales de premier plan confrontées à des challenges complexes".

Sa proposition a suscité les critiques de certains investisseurs, déjà préoccupés par les questions de gouvernance et la procédure en cours en France sur les dépassements d'émissions diesel de véhicules Renault.

"Un tel schéma court-circuiterait les actionnaires de Renault et de Nissan", a réagi dans le Monde Dieter Waizenegger, responsable du groupe d'investissement activiste CtW. "Tous les principes de transparence en seraient violés."

DROIT DE VOTE CONTRAIGNANT

Au-delà de la controverse suscitée par ce dossier, la rémunération annuelle de Carlos Ghosn n'a pas soulevé cette année la polémique de 2016.

Même à une courte majorité, les actionnaires de Renault ont voté en faveur de la rémunération du PDG, alors qu'ils avaient rejeté l'an dernier la résolution sur son salaire.

Les actionnaires ont donné un avis favorable, à 53,05% contre 46,90% de voix contre, en faveur de la rémunération de Carlos Ghosn au titre de 2016. Celle-ci a été réduite de 2,6% à 7,06 millions d'euros.

Si le "say on pay" était encore consultatif sur le salaire de l'exercice écoulé, les actionnaires ont également bénéficié cette année d'un droit de vote contraignant sur la politique de rémunération pour l'exercice en cours. Ils ont aussi voté pour cette résolution, à 54,01% contre 45,92% de votes défavorables.

L'Etat français, qui s'oppose régulièrement à Carlos Ghosn sur sa rémunération, est le principal actionnaire de Renault avec près de 20% du capital. Ses droits de vote étaient cependant limités à 17,9% selon le quorum du jour, et il ne pouvait exercer ses droits de vote double sur ce sujet.

A l'assemblée générale d'avril 2016, Renault avait suscité un tollé politique et syndical en maintenant la rémunération de 7,25 millions d'euros de Carlos Ghosn au titre de 2015 malgré un avis négatif des actionnaires. Le groupe, dont le Medef avait aussi critiqué l'attitude, avait finalement décidé quelques mois plus tard de réduire de 20% la part variable du salaire de Carlos Ghosn pour l'exercice suivant.

En ajoutant le salaire versé par Nissan, la rémunération de Carlos Ghosn au titre de 2015 a atteint 15,6 millions d'euros, faisant de lui le troisième patron le mieux payé des dirigeants du CAC 40 en 2015.

Pour l'exercice entamé en 2016, la rémunération que lui versera Nissan, dont Carlos Ghosn vient de céder la direction générale tout en conservant la présidence, devrait être connue le 27 juin, date de l'assemblée générale du constructeur japonais.

SYNERGIES MITSUBISHI-RENAULT

L'attitude des actionnaires sur le salaire du PDG de Renault s'annonçait globalement moins hostile cette année. ISS, organisme influent de conseil aux actionnaires, avait ainsi recommandé de voter cette année en faveur des résolutions sur la rémunération, alors que l'an dernier il avait appelé à voter contre.

Le président du comité des rémunérations, Patrick Thomas, expliquait jeudi dans Le Figaro que le système avait été rendu plus transparent après le vote négatif de 2016. "Il serait paradoxal de réduire aujourd'hui cette rémunération alors que les performances de Renault sont meilleures que jamais", a-t-il ajouté.

Par ailleurs, Carlos Ghosn a levé jeudi un peu plus le voile sur le plan stratégique 2017-2023 qu'il présentera en fin d'année.

L'alliance Renault-Nissan, désormais élargie à Avtovaz et à Mitsubishi, compte détrôner dès le milieu de cette année Volkswagen et Toyota, qui se disputent régulièrement la première place mondiale. Et si c'est Nissan qui a pris le contrôle de Mitsubishi, il en attend aussi des bénéfices pour Renault.

"Il y a déjà une équipe qui travaille sur des synergies Mitsubishi-Renault", a déclaré Carlos Ghosn, ajoutant qu'en Europe "il y aura bien sûr examen de la possibilité de faire fabriquer dans des usines Renault des véhicules pour Mitsubishi".

(Edité par Dominique Rodriguez)

par Gilles Guillaume et Laurence Frost