photos vidéo Sameer Al-Doumy

CHERBOURG (awp/afp) - Cherbourg a rendu dimanche un premier hommage aux victimes de l'attentat de Karachi (Pakistan), 20 ans jour pour jour après le drame qui a coûté la vie à 15 personnes, des ouvriers normands travaillant pour l'ex-DCN pour la plupart.

"Nous exprimons au nom de l'ensemble des collaborateurs du site de Naval Group [ex-Direction des constructions navales] de Cherbourg notre émotion toujours intacte", a déclaré Jean-Luc France, directeur de l'usine lors d'une cérémonie organisée dimanche matin à l'intérieur du site de fabrication de sous-marins nucléaires.

M. France a ensuite déposé une gerbe "à nos collègues disparus" devant une plaque sur laquelle est gravée le nom des 11 ouvriers français décédés.

Une quarantaine de personnes, essentiellement des proches des victimes ou des rescapés grièvement blessés dans l'attentat étaient présentes, a constaté l'AFP.

"J'ai tellement mal. Ca m'a détruit ma vie, mes enfants", a déclaré à l'AFP Marie Dupont, veuve d'une des victimes venue à la cérémonie avec ses trois enfants et plusieurs de ses petits-enfants. "Je n'en peux plus", a-t-elle ajouté interrogée sur l'enquête en cours depuis 20 ans sans que le mobile de l'attentat ait pu être clairement identifié.

Le 8 mai 2002, 15 personnes sont mortes dans l'explosion du bus qui menait quotidiennement les salariés de la Direction des constructions navales (DCN) et de ses sous-traitants, de leur hôtel au chantier de construction d'un sous-marin vendu au Pakistan par la DCN. Douze personnes ont été grièvement blessées.

Deux pistes sont aujourd'hui explorées par les enquêteurs. Au départ, seule celle d'Al-Qaïda a été explorée. Depuis 2008, les juges étudient aussi la piste d'un attentat organisé en représailles à la décision du président de la République Jacques Chirac de cesser le versement de commissions à des responsables pakistanais sur des contrats d'armement conclus par le gouvernement Balladur en 1994.

Selon des avocats de victimes, les juges privilégient aujourd'hui cette seconde hypothèse.

"On doit rendre hommage à ceux qui ont disparu. On a 11 innocents qui ont payé pour des politiques qui s'en sont mis plein les poches", a estimé sous couvert d'anonymat un rescapé de l'attentat interrogé par l'AFP après avoir assisté à la cérémonie au sein de Naval Group.

"Dans cet attentat nos collègues ont été victimes du commerce des armes et de sa financiarisation", a aussi estimé la CGT du site Naval Group à Cherbourg dans un communiqué.

En 2020 le tribunal correctionnel de Paris a jugé qu'une partie des rétrocommissions illégales a contribué à financer la campagne d'Edouard Balladur. Mais les juges ne se sont pas prononcés sur un éventuel lien de causalité entre l'arrêt du versement des commissions et l'attentat de Karachi. Edouard Balladur a été relaxé par la Cour de justice de la République, son ex-ministre François Léotard condamné.

Une seconde cérémonie est prévue à 14H30, organisée par la mairie devant une stèle en mémoire des victimes située derrière la Cité de la mer à Cherbourg et à laquelle sont attendues davantage de personnes mais sans représentant de l'Etat.

Dans Cherbourg? de grandes bâches invitent les habitants à s'y rendre.

boycott

En milieu de matinée, une rose blanche avait été déposée devant la stèle où figurent également les noms des onze Français décédés dans l'attentat, a constaté l'AFP. Un des blessés, qui boycotte les deux cérémonies, a indiqué l'avoir déposée dimanche matin.

Plusieurs blessés ou proches de victimes accusent l'Etat de "bloquer" l'enquête en refusant de lever le secret défense sur nombre de documents, et boycottent la cérémonie organisée chaque année par Naval Group.

L'ex-député-maire PS de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, qui avait dénoncé des "entraves" de l'Etat à l'émergence de la vérité, est annoncé à la seconde cérémonie.

En 2002, la DCN était à 100% détenue par l'Etat. Elle est depuis devenue Naval Group, détenu à 62% par l'Etat. Près de 5.500 personnes travaillent sur le site cherbourgeois du groupe.

clc/et/tes