Au travers de cet article, nous allons passer en revue trois métriques qui me semblent pertinentes pour appréhender un marché tendu ou une économie qui ne va pas fort. Lorsque, ensemble, ces indicateurs donnent un même signal, protéger son portefeuille avec des opérations de couverture est recommandé.

Inversion de la courbe des taux.

Vous n’êtes pas à l’aise avec les taux ? Commencez par lire cet article.

Gardez en tête que la courbe des taux d’une économie qui va bien ressemble généralement à ça :

courbe des taux économie
Source : La finance pour tous

Le concept d’inversion de la courbe des taux fait référence au fait que les taux courts deviennent plus élevés que les taux longs ou du moins que le spread entre les deux s’affaiblit. La littérature empirique sur le sujet de l’inversion de la courbe des taux est bien fournie. Elle confirme l’existence d’une relation entre la pente de la courbe des taux et l’évolution future de l’activité économique. Les travaux de Harvey (1988) et Estrella et Hardouvelis (1991) montrent qu’il existe en effet une corrélation entre la croissance économique américaine et l’écart entre le taux américain à 10 ans et le taux à 3 mois. Ils suggèrent aussi que l’évolution de la pente de la courbe des taux permet de prévoir les récessions. Comme le soulignent Christophe Blot et Eric Heyer dans le papier (2018) : “une réduction de la pente de la courbe des taux est associée à une probabilité de récession future plus importante”. Au-delà d’une corrélation, certaines raisons peuvent expliquer un effet causal de la courbe des taux sur l’activité (Monteta, 2005).

Parmi les hypothèses qui permettent d’aboutir à ces résultats, les économistes considèrent que les taux longs reflètent les anticipations de marchés des taux courts futurs. En d’autres termes, si les marchés anticipent une récession et qu’ils pensent que la banque centrale mènera une politique plus accommodante, ils anticipent une baisse future des taux courts, ce qui réduit les taux longs aujourd’hui (relation pas si évidente). Les résultats mis en avant par les économistes reposent donc sur la conjonction de deux anticipations : une anticipation de la baisse de l’activité et l’anticipation que la banque centrale jouera un rôle proactif et baissera les taux courts.

De leur côté, Blot et Heyer se sont intéressés à la pertinence de cette relation pour la France et la zone euro et je vous recommande chaudement de lire leurs travaux sur le sujet. Ils valident la relation entre la pente de la courbe des taux et la croissance américaine mais concluent que l’information contenue dans la courbe des taux en France et sur la zone euro est beaucoup trop faible pour prévoir les récessions ou la croissance.

D'une manière pratique, la courbe à suivre est la suivante. Il s’agit du spread entre le taux des obligations du trésor américain à échéance constante 10 ans et le taux des obligations du trésor américain à échéance constante 3 mois. Sur le même graphique, en gris, sont marquées les périodes reconnues comme étant des crises majeures.

 

Spread taux longs taux courts
Spread entre taux long (10y) et taux court (3m) des obligations du trésor américain. Source : FRED

Lorsque la courbe passe en terrain négatif, cela signifie que la pente de la courbe des taux s’est aplanie. Vous noterez la régularité du signal dans l’anticipation d’une correction. Il peut être très intéressant d’étudier cette courbe en parallèle de l’évolution du PIB de la région économique analysée.

Sources principales de cette partie :

  • L’inversion des courbes des taux est-elle toujours suivie d’un ralentissement économique ? Christophe Blot et Eric Heyer. OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques (Sciences Po)
  • 10-Year Treasury Constant Maturity Minus 3-Month Treasury Constant Maturity. FRED Economic data.

 

Comment le marché américain accueille le taux de surprise des publications

Le 18 février 2022, John Butters a publié un article intitulé : “Market rewarding positive EPS surprises less than average for S&P500 companies for Q4” sur le site FACTSET (onglet Insights).

A la date de l’écriture de ce papier, 84% des entreprises du S&P500 avaient publié leurs résultats du Q4. Sur ces 84%, 77% ont publié un BNPA au-dessus des attentes moyennes, un chiffre légèrement supérieur à la moyenne sur 5 ans qui s’établit à 76%. La moyenne du taux de surprise est de +8.5% sur le trimestre, légèrement sous les +8.6% si l’on s’en tient aux 5 années précédentes.

Cette moyenne de +8.6% nous laisse penser que les analystes sont donc conservateurs sur leurs estimations mais aussi que le marché, habitué à des taux de surprise impressionnant, price déjà ce taux de surprise.

Du moins, c’est ce que l’on peut comprendre lorsque l’on regarde la réaction du marché lors de la divulgation des chiffres au public, autrement dit, la moyenne des variations sur les 4 jours qui encadrent la publication.

reaction taux de surprise positif

Pour le Q4, le cours des entreprises qui ont publié un taux de surprise positif a crû, en moyenne, de seulement 0,2%. Ce chiffre est faible vis-à-vis de la moyenne historique, et surtout très faible par rapport aux 3 trimestres précédents.

reaction taux de surprise negatif

En revanche, le cours des entreprises dont le taux de surprise est négatif a, en moyenne, chuté de -2.8%. L’histogramme ci-dessous et celui qui vient d’être présenté nous montre que de manière générale (du moins depuis 2017), le marché est bien plus sévère avec les mauvais résultats qu’il ne récompense les bons chiffres.

A mon sens, l’accueil des résultats du Q4 met en évidence le fait que les catalyseurs baissiers soient bien plus sérieux que les catalyseurs haussiers. Le marché est extrêmement tendu, à l’image du conflit en Ukraine, et punit sévèrement les résultats sous les attentes. Nous avons vu que cela est aussi vrai en Europe.

Ensemble, la courbe des taux et l'accueil des résultats par le marché constituent deux indicateurs très solides pour se faire une idée de la santé économique d’une région et faire un état des lieux des pressions qui s’exercent sur le marché.

Source principale de cette partie :

  • Market rewarding positive EPS surprises less than average for S&P500 companies for Q4. John Butters. FACSET insights.

Le VIX Index, benchmark ultime de la volatilité aussi appelé indice de la peur

 

Qui de mieux que l’éditeur de l’indice pour nous en parler ?

Le CBOE VIX Volatility IndeX est souvent cité par les opérateurs et médias financiers comme le benchmark ultime de la volatilité. Il est aussi connu sous le nom d’indice de la peur. Il convient de souligner le fait que le VIX est un indice, autrement dit, un outil de mesure. Par conséquent, il n'est pas possible de spéculer dessus de manière directe.

Il indique le niveau d’incertitude sur les marchés américains. Pour être plus précis, le VIX mesure la volatilité attendue sur 30 jours et se base pour cela sur les opérations réalisées sur les options cotées sur le CBOE ayant pour sous-jacent l’indice du S&P500 (SPX options).

Il est exprimé en pourcentage comme l'écart type annualisé des variations du S&P500. Les données d’entrées de son calcul sont les prix que les opérateurs sont prêts à payer pour acquérir des SPX options. Le prix de ces options reflète les variations potentielles de l’indice du S&P500. Le terme “potentielles” est important puisqu’il souligne le fait que l’indice donne des informations sur les variations attendues du marché.

Entre 1990 et 2020 les prix de clôture du VIX ont évolué dans un range compris entre 9,14 et 82,69 (crise covid). Un VIX élevé traduit une inquiétude des opérateurs sur l’évolution future des marchés américains. Il est intéressant de remarquer que le VIX Index et le S&P500 sont inversement corrélés, à noter que c’est le S&P500 qui donne le ton. Lorsque le S&P500 grimpe, le VIX a tendance à chuter car les opérateurs sont confiants et inversement.

relation inverse vix sp500
Source : CBOE

Le VIX index est le plus souvent utilisé comme un indicateur des niveaux futurs du marché. Un opérateur peut aussi spéculer sur l’évolution du VIX au travers de produits dérivés (futures et options) listés sur le CBOE.

Il est très important de souligner que la plupart des investisseurs institutionnels qui détiennent des actions en direct se servent des options pour protéger leur portefeuille. L’activité de ces investisseurs (fonds de pension, compagnies d’assurance, organismes de placement collectif…) à l’achat est donc d’abord liée aux achats de puts ! L'augmentation du VIX survient alors quand les investisseurs achètent beaucoup de puts, pensant que les marchés sont incertains et qu’un danger de chute s’approche. Le fait que la panique est contagieuse explique que la volatilité ait tendance à se conserver d’une séance sur l’autre. Cependant, il a été montré à plusieurs reprises qu’une augmentation du VIX index ne conduisait pas nécessairement à une baisse des marchés. Les marchés sont plus volatiles certes, les investisseurs se couvrent, le VIX se conserve et un phénomène auto-catalytique se produit, mais ce n’est pas pour autant que les marchés vont s'effondrer. D’où la nécessité de coupler l’analyse du VIX avec les autres indicateurs cités précédemment dans cet article.

Une ouverture

En étudiant les deux premiers indicateurs (accueil des taux de surprise par le marché sur le Q4 2019 et inversement de la courbe des taux) on remarque que tout portait à croire qu’une crise d’ampleur allait surprendre les marchés sur le début d’année 2020. Or cette crise financière s’est faite attendre et une crise sanitaire est survenue. C’est d’ailleurs seulement à ce moment (le 2 mars 2020 exactement) que le VIX s’est mis à exploser. Mais les causes de l’effondrement des marchés ne sont pas comparables aux crises historiques. Tout de même, un investisseur ayant suivi cette démarche en ajoutant une note de bon sens aurait pu anticiper que cette crise sanitaire, intervenue dans une économie vacillante, allait avoir un impact significatif sur les marchés. Finalement, cette crise n’a été que de courte durée sur les marchés. La reprise en V a eu lieu et n’y a pas véritablement eu un reset (peut-être nécessaire) de l’économie. D’ailleurs, l’immobilier a même bénéficié de cette crise et le prix des logements par rapport au pouvoir d’achat des consommateurs reste extraordinairement élevé. Tout cela est plutôt inquiétant, d'autant plus que le conflit Russie/Ukraine va certainement retarder le resserrement nécessaire des politiques monétaires conduites par la FED et la BCE.

Les indicateurs présentés dans cet article sont, à mon sens, bien plus intéressant que l’étude des niveaux de valorisation des marchés. Pour rappel, il est idiot de comparer les niveaux de valorisation (PEG par exemple) de 2022 avec ceux des années 1980, époque où le rendement sans risque était supérieur à 10%. C’est donc tout à fait normal qu’un rendement de 20% en 2022 coûte bien plus cher qu’un rendement de 20% en 1980.