par Sanjeev Miglani et Asif Shahzad
NEW DELHI, 14 avril (Reuters) - De hauts officiers de
renseignement de l'Inde et du Pakistan ont tenu des discussions
secrètes à Dubaï en janvier dans un nouvel effort pour calmer
les tensions militaires dans la région himalayenne contestée du
Cachemire, ont déclaré à Reuters des personnes ayant une
connaissance approfondie de la question.
Les liens entre les deux pays rivaux dotés de l'arme
nucléaire sont gelés depuis l'attentat suicide contre un convoi
militaire indien au Cachemire en 2019, attribué à des militants
basés au Pakistan.
Plus tard cette année-là, le Premier ministre indien
Narendra Modi a retiré l'autonomie du Cachemire afin de
resserrer son emprise sur le territoire, provoquant
l'indignation du Pakistan, la dégradation des liens
diplomatiques et la suspension du commerce bilatéral entre les
deux pays.
Mais les deux gouvernements ont rouvert une voie
diplomatique visant à établir une modeste feuille de route pour
normaliser les liens au cours des prochains mois, ont indiqué
les personnes concernées.
Le Cachemire est depuis longtemps un point de friction entre
l'Inde et le Pakistan, qui revendiquent tous deux la région mais
ne la gouvernent qu'en partie.
Des responsables de la Research and Analysis Wing, l'agence
de renseignement extérieur de l'Inde, et de l'Inter-Services
Intelligence du Pakistan se sont rendus à Dubaï pour une réunion
facilitée par le gouvernement des Émirats arabes unis, ont
indiqué deux sources.
Le ministère indien des Affaires étrangères n'a pas répondu
à une demande de commentaire. L'armée pakistanaise, qui contrôle
l'ISI, n'a pas non plus répondu.
Mais Ayesha Siddiqa, analyste pakistanaise, a déclaré
qu'elle pensait que des responsables des services de
renseignement indiens et pakistanais se rencontraient depuis
plusieurs mois dans des pays tiers.
"Je pense qu'il y a eu des réunions en Thaïlande, à Dubaï, à
Londres entre des représentants de haut niveau", a-t-elle
déclaré.
TENSIONS
De telles réunions ont également eu lieu par le passé,
notamment en période de crise, mais n'ont jamais été reconnues
publiquement.
"Il y a beaucoup de choses qui peuvent encore mal tourner,
c'est tendu", a déclaré l'une des sources. "C'est pourquoi
personne n'en parle en public, nous n'avons même pas de nom pour
cela, ce n'est pas un processus de paix. Vous pouvez l'appeler
un réengagement", a déclaré l'une d'elles.
Les deux pays ont des raisons de chercher un rapprochement.
L'Inde est enfermée dans une impasse frontalière avec la Chine
depuis l'année dernière et ne veut pas que l'armée s'étende sur
le front pakistanais.
Le Pakistan, embourbé dans des difficultés économiques et
soumis à un programme de renflouement du FMI, ne peut se
permettre d'accroître les tensions à la frontière du Cachemire
pendant une période prolongée, selon les experts. Il doit
également stabiliser la frontière afghane à l'ouest, au moment
où les États-Unis se retirent.
"Il vaut mieux que l'Inde et le Pakistan se parlent que le
contraire, et il vaut encore mieux que cela se fasse
discrètement plutôt que sous les feux des projecteurs", a
déclaré Myra MacDonald, une ancienne journaliste de Reuters.
"Mais je ne pense pas que cela aille bien au-delà d'une
gestion de base des tensions, peut-être pour aider les deux pays
à traverser une période difficile - le Pakistan doit faire face
aux retombées du retrait américain d'Afghanistan, tandis que
l'Inde doit faire face à une situation bien plus volatile sur sa
frontière contestée avec la Chine".
METTRE UN FREIN A LA RHÉTORIQUE
À la suite de la réunion de janvier, l'Inde et le Pakistan
ont annoncé qu'ils mettraient fin aux tirs transfrontaliers le
long de la ligne de contrôle (LoC) divisant le Cachemire, qui
ont fait des dizaines de morts et de nombreux blessés parmi les
civils. Ce cessez-le-feu tient, selon les responsables
militaires des deux pays.
Les deux parties ont également fait part de leur intention
d'organiser des élections de leur côté du Cachemire cette année,
dans le cadre des efforts visant à ramener la normalité dans une
région déchirée par des décennies d'effusion de sang.
Les deux parties ont également convenu de mettre un frein à
leur rhétorique, selon les personnes auxquelles Reuters a parlé.
Ainsi, le Pakistan renoncerait à s'opposer bruyamment à
l'abrogation de l'autonomie du Cachemire par Narendra Modi en
août 2019, tandis que Delhi s'abstiendrait de blâmer le Pakistan
pour toute violence de son côté de la ligne de contrôle.
L'Inde a longtemps rendu le Pakistan responsable de la
révolte au Cachemire, une allégation démentie par le Pakistan.
"Il est admis qu'il y aura des attaques au Cachemire, et des
discussions ont eu lieu sur la manière d'y faire face et de ne
pas laisser cet effort dérailler par la prochaine attaque", a
déclaré l'une des personnes interrogées.
Il n'existe cependant pas encore de grand plan pour résoudre
le conflit du Cachemire, vieux de 74 ans. Les deux parties
s'efforcent plutôt de réduire les tensions pour ouvrir la voie à
un engagement plus large, ont déclaré toutes les personnes
auxquelles Reuters a parlé.
"Le Pakistan passe d'un domaine géostratégique à un domaine
géoéconomique", a déclaré à Reuters Raoof Hasan, assistant
spécial du Premier ministre pakistanais Imran Khan.
"La paix, tant à l'intérieur qu'autour avec ses voisins, est
un élément clé pour faciliter cela".
(version française Camille Raynaud)